Une mission d’information a récemment été confiée par le Gouvernement à Laurent Frémont sur le droit de visite en EHPAD. Elle fait suite à des débats particulièrement longs et nourris à l’Assemblée nationale lors de l’examen de la proposition de loi “Bâtir la société du bien vieillir” et de son article 3 instituant un droit de visite.
Cela pourrait sembler être une anomalie. Pourquoi faire une mission sur un droit qui ne devrait pas être une possibilité, mais un acquis ? L’EHPAD est le domicile de la personne. Comme dans tout “chez-soi”, elle est libre de recevoir des personnes quand elle le souhaite.
Force est de constater que les traumatismes liés à la crise COVID sont encore bien présents. Tout d’abord dans les mémoires, mais aussi, et c’est là que c’est le plus inquiétant, dans certaines pratiques de directrices et directeurs. Des établissements ferment ainsi leurs portes dès le premier signe du retour d’une épidémie. D’autres ont gardé des horaires de visites, plus ou moins restrictives, plus ou moins accommodantes avec la vie privée des proches des résidents. La défenseure des droits continue d’être interpellée sur des restrictions au droit de visite. Cela représentait, entre mai 2021 et décembre 2022, 30% des saisines en lien avec les EHPAD, soit le 2ème motif en nombre de saisines. C’est pour cela qu’à deux reprises, dans un rapport de 2021 puis un rapport de 2022, elle a demandé “d’inscrire dans une disposition du CASF le droit de visite quotidien du résident par ses proches s’il le souhaite.”
Le “droit de visite”, même s’il ne devrait pas faire l’objet de limitation selon l’OGRA, n’est pourtant pas sans fondement juridique. Il figure à l’article 8 de la Charte des droits et libertés de la personne accueillie, obligatoirement annexée au livret d’accueil remis à tous les résidents, sous la formule suivante “il est garanti à la personne la possibilité de circuler librement. À cet égard, les relations avec la société, les visites dans l’institution, à l’extérieur de celle-ci, sont favorisées”. La proposition de loi dont l’examen est toujours en cours prévoit la formulation suivante (l’ajout dans le code de l’action sociale et des familles est en italique) : “Dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, lui sont assurés : 1° Le respect de sa dignité, de son intégrité, de sa vie privée et familiale, notamment la visite de sa famille et de ses proches et le maintien d’un lien social ; de son intimité, de sa sécurité et de son droit à aller et venir librement“”. Cette formulation a le mérite de répondre aux recommandations de la défenseure des droits, mais sera-t-elle en mesure de régler les dérives existantes ?
Car il ne s’agit pas de le proclamer pour qu’un droit soit appliqué. Au même alinéa figure le respect de la dignité et de l’intégrité des résidents. Ce sont ces manquements répétés qui ont conduit à la création de l’OGRA, pour dénoncer ces atteintes et rendre ces droits effectifs. Si les contrôles en EHPAD par des inspecteurs ne suffisent pas, faute de moyens suffisants, des associations comme l’OGRA prendront leur part pour faire remonter ces dysfonctionnements et participer à les faire cesser, à travers des interpellations et des rapports.
Il faudra plus que la peur d’une retombée médiatique négative pour faire cesser ces agissements. Certains directeurs et directrices ont pu agir ainsi afin de se protéger d’éventuelles mises en cause ultérieures de leur responsabilité. La responsabilité pénale peut faire bien plus peur à certains. Cette question ne doit pas être occultée. Les restrictions peuvent aussi être imposées par les groupes auxquels appartiennent les EHPAD ou par les autorités de tutelle. De même, il faudra travailler à la vision domiciliaire de l’EHPAD. Si certains horaires de visites seront moins pratiques que d’autres, notamment au moment des soins, nous devons collectivement nous rappeler que l’EHPAD représente le “chez-soi” de la personne, et qu’à ce titre, elle peut recevoir qui elle veut, quand elle veut. Enfin, que se passera-t-il pour les établissements récalcitrants ? La formulation actuelle ne propose pas de sanction. Le droit de visite n’a pas été intégré au référentiel d’évaluation de la qualité en EHPAD et ne sera pas évalué par les autorités. Il ne faudrait pas que ce “nouveau droit” reste appliqué à géométrie (ou géographie) variable.
Si la mission de Laurent Frémont rend des conclusions en septembre invitant à aller plus loin que la proposition aujourd’hui inscrite dans la proposition de loi “Bien vieillir”, quelle traduction législative pourra-t-elle trouver ? Si le texte est en effet remis à l’ordre du jour en juin, c’est pour qu’il soit adopté ensuite par le Sénat avant la fin juillet. S’il ne l’est pas, c’est qu’il est condamné à disparaître, et les propositions qu’ils intégraient, à ne jamais voir le jour. On en revient aux conclusions d’un texte précipité, qui ne réussit pas à s’inscrire dans un cadre cohérent, développé dans notre tribune d’avril, notamment publiée sur le site de Libération (à retrouver ici). Il reste beaucoup à faire, et nous serons vigilants.
Le communiqué de presse du gouvernement sur le lancement de la mission confiée à Laurent Frémont est à retrouver ici