Le virage domiciliaire, en réponse à l’attente du bien vieillir

Le maintien à domicile des personnes âgées s’avère être une alternative à l’entrée en Etablissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes (EHPAD). Cependant, ni les moyens, ni les besoins, ni les aspirations des personnes âgées ne sont identiques. Une combinaison entre EHPAD et domicile doit être trouvée en facilitant l’ouverture temporaire des institutions à « ceux qui vont bien ».

À écouter les échos de mon secteur, je me demande si la soudaine mise en avant du domicile à tout prix et de la promesse d’un nouveau virage ne seraient pas en train de masquer le questionnement sur les moyens alloués aux Etablissements d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes (EHPAD). Rien n’est fait pour que les EHPAD ne soient pas seulement des lieux de soins mais deviennent des lieux de vie.  

Ce virage n’est en tout cas pas la réponse que j’attendais pour un secteur qui a été confronté à une crise sanitaire mondiale et au scandale autour de la prise en charge sacrifiée aux velléités de profit de certains acteurs de la silver-économie.

De vraies évolutions sociétales ?

La réponse à la question où-est-ce que l’on veut vieillir et ainsi mourir semble évidente pour beaucoup d’entre nous.

Si on me le demandait je serais certainement le premier à répondre : « chez moi ».  

Nous sommes nombreux à nous être construits comme cela, avec la création d’un « chez soi », de ce lieu qui nous appartient, de celui dont on ne peut être délogé … alors pourquoi partir de là ?   

S’ajoute à cela que l’idée même d’être projeté dans un milieu communautaire pour les derniers jalons d’une vie n’a rien de très enthousiasmant. L’exiguïté sociale, les horaires imposés et les choix réduits à peau de chagrin n’ont rien de désirable. L’EHPAD d’aujourd’hui ressemble certainement dans sa majorité à cela.  

Alors qu’est-ce que qui nous amènerait à réfléchir à une solution autre que celle de vieillir, là où l’on a vécu, au sein de son domicile, là où résident les souvenirs ?  

Une réponse politique 

La réponse apparait si évidente que la présidente de la commission des affaires sociales, lors d’une matinale de la radio publique en date du 29 juillet 2022, a annoncé le « grand virage domiciliaire » voulu par sa majorité. Elle rappelait, évitant ainsi toute prise de partie, qu’il ne fallait cependant absolument pas opposer établissement d’accueil et (souhait de rester au) maintien au domicile.  

Mais alors, un virage ? Cela voudrait-il dire que les moyens alloués jusqu’ici avaient fait l’objet d’une réflexion sur les Établissements d’Hébergements pour Personnes Âgées Dépendantes ?

À n’en pas douter compte tenu de la visibilité qui a été donnée aux bons soins pratiqués dans certains établissements au cours de ces derniers mois ! S’en est suivie la prise de conscience collective que même avec la meilleure des volontés, les personnels ne pouvaient faire comme ils le souhaitaient.

Un virage, quoi qu’elle en dise, c’est un changement de cap.

Le gouvernement a ainsi dans cette injonction bienveillante du « rester chez soi » mis en place en tout premier lieu une prime pour un aménagement : finis la baignoire sabot, bonjour la douche à l’italienne …  

Mais est-ce qu’être vieux » est nécessairement avoir accédé à la propriété ? Est-ce le postulat de départ qu’il faut admettre … à y regarder de plus près, je n’en suis pas si sûr, mais peut-être est-ce dû au fait que je travaille dans un département qualifié économiquement de « pauvre ».

Les limites du vieillir à domicile 

Et pour ceux qui possèdent, est-ce que les règles successorales et la réflexion financière entourant les indivisions ne vont pas entrainer des velléités à vendre auxquelles il peut être dur de résister surtout si c’est pour notre bien !  

S’est-on posé la question de ce que deviendraient ces maisons équipées et occupées toute habitées de solitude à la mort du dernier conjoint, aux départs des voisins, à la fermeture de l’épicerie ou du départ en retraite du médecin traitant ?

Est-ce que la solution se trouvera dans une maison domotisée, remplie de capteurs antichute avec passage quotidien et efficace d’une soignante polyvalente et d’une infirmière ?  

Ce virage m’apparait comme une vague où l’évidente volonté de rester chez soi devrait tout emporter sur son passage. L’évident désir.

Plus avant, les établissements deviendraient donc seulement réservés à ceux pour qui être chez soi n’est plus physiquement ou mentalement possible, ceux qui n’ont jamais pu être propriétaire, ceux dont on ne peut plus rien attendre.  

Rejoindre l’inconnu 

Encore, les établissements ne seront plus le lieu d’un perpétuel dedans, des solitudes empilées, le lieu de l’invisibilité comme cela est le plus décrié par les résidents, les soignants et les familles. Le chez soi jusqu’à ce que ce ne soit plus possible empêchera progressivement de placer les établissements spécialisés si ce n’est au cœur de la cité au moins dedans, de mettre en avant leur capacité à être lieu de vie et lieu de partage. Si les seuls résidents deviennent des personnes grabataires, qui sera là pour tout ce qui doit se réfléchir à plusieurs ? Quelle joie que les résidents participent au recrutement, aient leurs mots à dire sur les repas et les activités. Le plaisir m’est évident quand on commence à réfléchir à de nouvelles autonomies.

S’il ne faut pas opposer, il est impératif de réfléchir au nouvel EHPAD comme un lieu attractif et ouvert à ceux qui vont bien. L’EHPAD est un lieu qui doit se donner les moyens d’accueillir. Ne serait-il pas possible de pouvoir réserver une table afin de manger un repas à midi avant une après-midi belote à la condition d’être assuré de l’heure de la prise en charge et d’un retour à son domicile ? Ne doit-on pas sans cesse privilégier la naissance de nouvelles amitiés au travers de la création de sorties qui seraient non plus simplement ouvertes aux résidents mais aussi à ceux qui habitent autour ?  

L’absence d’un ministre délégué aux personnes âgées et les quelques points qui seront discutés lors de la loi relative à la sécurité sociale ne semblent pas de bon augure sur le traitement de ces multiples questions que vieillir pose. Alors, pas de virage obligatoire, mais des combinaisons. Une attention particulière à ce qui entoure les EHPAD apparait nécessaire et de façon encore plus prégnante, penser un remaillage territorial. Peu d’études ont été réalisées sur la localisation des établissements mais incontestablement les établissements sont, plus ou moins, forcés de quitter les centres-villes ou les quartiers résidentiels pour s’installer en périphérie. Une des premières causes à cela est pour moi le surdimensionnement des capacités d’accueil qui s’est imposé au fil des années et a ainsi amené à extraire les résidents du lieu dans lequel il vivait. Quitter chez soi pour créer autre chose ne peut être penser sans des repères.

Quel impact en termes de management ?

Le mot virage ne pourra jamais me satisfaire, peut-être par la brutalité même qu’il comporte. 

La question de comment je veux vieillir a été abandonnée et comment ne pas comprendre quand je suis le dernier à vouloir y réfléchir pour moi-même. De façon assez pessimiste, les perspectives qui apparaissent actuellement ne me donnent pas très envie.

Cadre infirmier, dans le secteur du domicile correspond de plus en plus à une gestion informatique de la tournée effrénée des soignantes, seul interlocuteur pour des personnes qui prennent soin de ceux dont personne ne prend soin. Cadre infirmier en EHPAD, un spécialiste du rubik’s cube des plannings, des gestions d’absence et du contrôle de la prise en charge des médicaments…Seul combiner pourrait donner un sens : une soignante qui oscillerait entre établissement et domicile, ramenant un peu de domicile dans l’établissement et de l’établissement dans le domicile, informerait celui qui vit à la maison de l’activité du lendemain ou elle sera là…

Conclusion

Alors, après le virage ambulatoire annoncé il y a 15 ans, qui n’a a priori pas connu le succès annoncé, si la réelle évolution sociétale est celle du virage domiciliaire, encore faudra-t -il bien négocier ce virage pour éviter le danger…Et surtout ne pas perde l’idée qu’à force de virage, on tourne en rond…. Pour que tout cela ne soit pas une belle promesse que l’on fait pour éviter de se confronter à la question de notre démonographie ?

Restons prudents et commençons par tenter d’apprécier les efforts nécessaires à cette transformation. Car si vieillir chez soi est la nouvelle priorité, il ne faudra pas oublier que chaque personne âgée est différente, a des besoins singuliers, comme moi, comme vous…et nous devrons toujours nous donner les moyens d’adapter la prise en charge d’abord pour celui qui le souhaite. 

Laurent GARCIA
Président de l’Observatoire du Grand Âge

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